Coquillages et Polynésie

Conus marchionatus 

 Un brin d'histoire

 

Outils, ornementation, alimentation… Les coquillages sont liés à l'histoire de l'homme depuis la nuit des temps. En Polynésie, le rapport entre l'Homme et l'océan étant évident, les coquillages reçurent très tôt une attention particulière. Par contre, l'intérêt scientifique n'arriva en Polynésie qu'avec les découvreurs européens. Ceux-ci embarquèrent à leur bord des botanistes, qui avaient la charge de récolter et d'étudier les espèces destinées aux musées. Les premières collections quittèrent la Polynésie sur l'Endeavour, navire de James COOK, puis sur les autres bateaux de cette fin de 18ème siècle. En 1823, une corvette bien nommée "La Coquille", jette l'ancre dans nos eaux avec à son bord deux naturalistes: Lesson et Carnot. Ils publieront 9 ans plus tard de nombreux volumes sur la faune des îles de la Société, et rapporterons une  collection de référence maintenant déposée au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris. Puis ce fût Dumont d'Urville, et ses naturalistes, Hombron et Jacquinot, puis Du Petit Thouars en 1838, enfin, un nombre important d'expéditions anglaises en ce 19ème siècle très riche.

 Cypraea tigris

La classification

 

Pour permettre un langage commun dans l'avancée scientifique, les savants se devaient d'adopter un protocole relatif à leurs descriptions. Ils adoptèrent la nomenclature binominale  établie par le Suédois Karl von Linné en 1758. Chaque être vivant se voit recevoir en latin un nom de genre et un nom d'espèce. Le nom de l'auteur de la description, ainsi que la date de cette description, suivent généralement les 2 noms latins. En exemple, le "maua", espèce autrefois fortement consommée en Polynésie, s'est vue décrite par Gmelin en 1791 sous le nom de genre de Turbo (avec une majuscule pour le genre), suivi de setosus (pour soyeux en latin, avec une minuscule pour le nom d'espèce). Cela donne donc "Turbo setosus Gmelin, 1791".
Les règles de description sont très strictes, et nécessitent de fortes connaissances en taxonomie (l'étude des caractères de l'animal et de sa coquille).
On trouve au-dessus des groupes espèces et genres, d'autres groupes permettant de classer les êtres vivants : Ce sont les familles, superfamilles, puis ordre, sous-classe, classe etc.…
Les coquillages sont des mollusques (embranchement MOLLUSCA), et ceux-ci sont rangés en 7 classes :
Monoplacophores, aplacophores, polyplacophores, gastropodes, scaphopodes, bivalves et céphalopodes.
Le sujet étant vaste, nous nous intéresseront aux gastropodes, les coquillages enroulés en colimaçon, ainsi qu'en aparté à un bivalve : La nacre.

Cypraea mappa

La biologie 

"Mollusque" vient du latin "mollusca", qui signifie corps mou. On a donc affaire à des invertébrés. La diversité des mollusques est énorme, et leur corps mou est sans doute leur seul point commun à tous.
Les gastropodes marins vivants dans l'eau, "respirent" par une branchie, possèdent les organes vitaux habituels, et sont surtout caractérisés par un "pied", qui leur sert entre autres à se déplacer. Ils vont se nourrir grâce à une radula, garnie de nombreuses dents râpeuses pour certains, voire même de dents-fléchettes pour les gastropodes évolués.

Conus gauguini

La coquille

Elle est construite par l'animal en carbonate de calcium, à partir du calcium dissout dans l'eau de mer. Chaque espèce l'enroulera à sa façon, la parera des dessins et des couleurs les plus extraordinaires. Ce sont des cellules spéciales du manteau qui déposeront les pigments de la coquille.

Turbo petholatus


Mode de vie- Espèces

On l'a dit, la diversité étant de mise chez les gastropodes, leur mode de vie sera également très disparate: Les Patelles (Patellidae), ces coquillages primitifs (archéogastropodes) ressemblant à des chapeaux chinois, resteront fixées au rocher battu par les vagues, ne se déplaçant que pour se nourrir, pour ensuite revenir dans leur niche. Les Turbo (Turbinidae) sont des herbivores, et se déplacent la nuit sur leur large pied pour aller brouter les algues. Ils possèdent un opercule calcaire, sorte de petite porte qui leur permet de rester cloîtré dans leur coquille à l'abri des agressions extérieures. On a nommé "œil de chat" l'opercule du Turbo petholatus, à cause de sa jolie coloration. D'autres petits herbivores que vous pouvez rencontrer sur les rochers en grand nombre, sont les Nérites (Neritidae). Ils possèdent eus aussi un petit opercule. Il leur est très utile quand ils se retrouvent "au sec" à marée basse. Certains coquillages vivent en parasites, comme les Eulima (Eulimidae) en se fixant sur les Oursins, Etoiles de mer ou Holoturies. Un herbivore méritant une attention particulière, est le Strombe (Strombidae). Il possède un pied musculeux très actif, auquel reste attaché un opercule corné ayant la forme d'une faux. En se plantant dans le sable, il peut même se retourner après qu'une vague l'ai mis en fâcheuse posture sur le dos. Le "7 doigts" (Lambis truncata (Humphrey, 1786)), ou Putara en tahitien, est le plus grand représentant de la famille en Polynésie.
La famille la plus connue et la plus recherchée est sans nul doute celle des Porcelaines
(Cypraeidae). Avec leur forme globuleuse, elles se caractérisent par des dessins et couleurs chatoyantes, et bien sûr un brillant sans pareil. Ces singularités sont dues à leur mode de croissance. Après une période juvénile où l'animal fabrique une coquille enroulée, celle-ci se referme sur elle-même ne laissant qu'une fine ouverture garnie de dents. La croissance va se faire alors en épaisseur, grâce à son manteau recouvrant totalement la coquille, et déposant en même temps que le carbonate de calcium, les pigments colorés qui l'habilleront.
On trouve dans la famille des espèces de petite taille (moins de 1cm ), jusqu'à la grande
Cypraea testudinaria rarissime en Polynésie. La porcelaine est généralement herbivore, mais quelques espèces ne dédaignent pas aller brouter quelques éponges. Les sexes sont séparés, avec parfois une différence de taille notable. De jour, le plongeur la trouvera tapie sous les blocs coralliens, quelquefois avec sa ponte de milliers d'œufs : Ne pas toucher !
Certaines espèces sont endémiques de Polynésie Française, c'est à dire qu'on ne les trouve que dans nos eaux. Elles prennent ainsi une valeur certaine aux yeux des collectionneurs. A eux de les récolter raisonnablement tout en sauvegardant leur biotope.
Après les herbivores, il existe des coquillages carnivores. La lenteur des mollusques les oblige souvent à se contenter de proies mortes. Tel est souvent le cas pour les Nassariidae, qui se déplacent sous la surface du sable vers leur repas. Les Natices
(Naticidae) sont elles équipées d'une radula "perceuse", qui fore un trou dans la coquille-proie, pour y faire pénétrer une trompe qui suce les parties molles de la victime.
Le plus grand représentant des Gastropodes dans nos eaux est le
Charonia tritonis. Le Pu en tahitien, est avant d'être un instrument musical, un animal très utile. Il est le seul prédateur de la redoutable étoile de mer épineuse : L'Acanthaster (ou Taramea en tahitien). Ce superbe coquillage est trop souvent victime de sa beauté et de sa taille. Même juvénile, il peut malheureusement faire bonne figure dans une vitrine.

Charonia tritonis


Une famille très représentée, est celle des Murex (Muricidae)  : Ce sont des coquillages très variés, assez souvent épineux, avec des spécimens étonnants. Avec eux on entame l'ordre des Néogastropodes, les plus évolués. Ce sont des carnivores, se nourrissant d'autres mollusques, ou d'annélides.
Une famille également très attrayante par leur test brillant, est celle des Olividae. Les Olives, de forme ovale comme le fruit du même nom, vivent dans le sable, et elles n'en sortent que pour se déplacer plus rapidement vers leur proie. Au repos, seul un siphon sort du sable pour " humer " une nourriture éventuelle.
Une famille des plus riches, et celle des
Mitridae. Leur habitat est très varié. On peut en trouver à des profondeurs très importantes, comme sur le récif frangeant. De ce fait, il est très difficile de leur trouver des caractéristiques communes.
La superfamille qui termine l'évolution des gastropodes, est celle de Conacea. On y trouve les
Turridae, Conidae et Terebridae. Les Turridae sont assez mal connus, car très souvent de très petite taille, et la famille est très, très grande. Les Térèbres (Terebridae), appelées aussi parfois fuseaux, sont des coquillages allongés dont la plus grande représentante, la Terebra maculata, a été utilisée comme outil par les anciens polynésiens, en raison de sa coquille très dure.
Enfin les Cônes. Une place très particulière pour cette grande famille. Tout d'abord parce qu'elle suscite un vif intérêt chez les collectionneurs (sans doute juste après les porcelaines). Malgré le peu de variabilité de formes, les dessins et les couleurs qui les parent rivalisent de beauté. Mais, l'animal est tout aussi fascinant. Les Conacea ont en commun un particularisme : Leur radula a vu ses dents se transformer en harpons, et ils possèdent une glande à venin leur permettant de tuer leur proie comme un chasseur avec une sarbacane. Mais voilà, dans la famille des cônes, certaines espèces peuvent être mortelles pour l'homme ! Ce sont les Cônes piscivores (mangeant des poissons) qui sont les plus dangereux. Ils sont capables de flécher une petite proie à quelques centimètres. Leur venin doit être assez puisant pour la foudroyer sur place. Le Cône peut alors recouvrir sa proie en dilatant sa trompe, et l'ingérer. L'espèce
Conus geographus est de loin la plus dangereuse pour l'homme. Elle est responsable à elle seule de la moitié des accidents mortels. Certains estiment la puissance de son venin à 50 fois celui du cobra !

Conus geographus

Mais d'autres espèces restent dangereuses, telle le Conus textile, assez commun dans le sable lagunaire, ou Conus obscurus, Conus tulipa, beaucoup plus rares heureusement. Pour éviter tout danger, mieux vaut ne pas les toucher. Si toutefois vous vous risquez à en manipuler, c'est par la partie large, l'épaule, qu'il fait le prendre. La trompe-sarbacane se trouve à l'autre extrémité.

Après l'aspect scientifique, terminons comme nous avons commencé : Par la relation Homme-coquillage. Quelques découvertes archéologiques nous ont appris l'importance du coquillage dans la vie du polynésien. Les Porcelaines, grâce à leur brillance, étaient utilisées comme leurre, surtout pour la pêche au poulpe ( Fee en tahitien). Le Musée de Tahiti possède aussi une Porcelaine transformée en couteau à peler le Uru, le fruit de l'arbre à pain. Les hameçons étaient aussi fabriqués en coquillages, les poinçons étaient faits à l'aide de Térèbres.
Au 20èmè siècle, l'homme moderne a introduit deux nouvelles espèces pour leur intérêt économique. Ce fût tout d'abord le Troca (
Trochus niloticus), avec 1200 individus importés en 1957 des Nouvelles Hébrides ( l'actuel Vanuatu). La mortalité fût énorme, mais quelques dizaines d'individus s'adaptèrent avec succès dans le lagon de Tautira, à la presqu'île de Tahiti. On les trouve maintenant, après transplantation, sur tous les récifs des îles de la Société. Leur coquille nacrée était autrefois utilisée pour la fabrication de boutons. Maintenant, c'est vers l'artisanat local qu'elle est plutôt destinée. La pêche du Troca est réglementée, par les dates de ramassage, la taille des individus et le quota à respecter.

Trochus niloticus


La deuxième espèce importée, elle, en 1968, est le Burgau (
Turbo marmoratus). C'est le plus grand représentant des Turbinidae, et sa coquille verte se transforme bien en lampe artisanale. Les Turbos possédant un opercule calcaire, celui-ci, de taille respectable, se retrouve souvent sur les bureaux en presse papier! Ce coquillage voit aussi son ramassage réglementé.

Bien sûr la beauté même des coquillages a aussi servi à parer les polynésiens. Les chefs tout d'abord, par des couronnes, colliers ou pagnes. Quant à nos superbes vahine, ce ne sont pas les coquillages qui les mettaient en valeur, mais le contraire!

Enfin, même encore en ce début de 21ème siècle, les traditions perdurent, et vous-même, lorsque vous quitterez la Polynésie française, vous vous verrez offrir en signe d'au revoir, des colliers de … coquillages.

Annexe :

Un livre pour en savoir plus :
"Coquillages de Polynésie" de Salvat et Rives, aux Editions du Pacifique.

 Merci à Philippe BACCHET pour les photos qui illustrent cette page.

Un joyau incontesté : La nacre

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